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#LesSorcièresDeLaLittérature : Julie Otsuka - Certaines n'avaient jamais vu la mer

Publié le par Hell

Quand on voit cette édition sur le rayonnage d'une librairie, on se dit que c'est mignon. L'édition poche de chez 10/18, avec ses fleurs roses sur fond rose, laisse présager un joli roman tout doux. Même en lisant la quatrième de couverture, on ne s'attend pas forcément à ce qu'on va lire.

Certaines n'avaient jamais vu la mer est un roman, écrit par l'autrice américaine d'origine japonaise Julie Otsuka. Ce roman raconte le destin de femmes japonaises qui ont tout quitté, mariées par correspondance à des émigrés japonais aux États-Unis au début du XXe siècle.

Ici, pas de personnage principal, pas de personnage secondaire. Elles ont des noms, des origines, des parcours différents, mais toutes sont sur un pied d'égalité. On ne suit pas une ou deux personnes ; on suit un chœur de femmes qui racontent toutes leurs histoires en même temps. Du bateau qui les transporte avec leurs espoirs à leurs maris cruellement humains, aux Blancs qu'elles ne comprennent pas, à leurs enfants qui vont grandir en Américains et leur échapper, jusqu'à la déportation, juste après l'entrée en guerre des États-Unis contre le Japon à la fin de 1941.

Les histoires divergent, certains passages sont doux et d'autres disent à quart de mot une extrême violence, mais toutes ont en commun la recherche d'autre chose, la découverte d'une réalité qui n'a pas grand chose en commun avec les images idéalisées, le combat pour s'en sortir et garder sa dignité dans une société qui vous accepte mal et vous réduit à moins que vous ne méritez, la peur de se voir arracher à tout ce qu'elles ont réussi à construire de leurs mains, de leur sang et de leurs larmes.

C'est avec un style magnifique que Julie Otsuka livre ces témoignages romancés. L'utilisation prépondérante du pronom "elle", les phrases courtes à la structure répétitive peuvent lasser certain-e-s lecteur-ice-s, mais participent à cet effet de chœur - de cœur, aussi. La narration palpite, passe de personne en personne, aligne les réalités successives comme on ouvre un éventail. En trois lignes, on passe du sourire attendri à la peine. On vit avec ces femmes, mais sans s'immiscer dans leur vie privée. On connaît leurs secrets les plus lourds, mais sans voyeurisme. C'est que ce roman est écrit avec une telle délicatesse qu'on ne peut que les comprendre, sans les juger et sans être biaisé-e par une affection fabriquée.

Dans ce roman, Julie Otsuka évoque des faits, pourfend avec les épines du rosier le rêve américain, l'Eldorado brisé, et rappelle un pan méconnu et passé aisément sous silence de l'histoire contemporaine des États-Unis. Une lecture forte, douce et puissante. Un hommage à des femmes sans nom à l'histoire si importante.

Goodreads : 4/5
Livraddict : 17/20

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